Retrait d’articles haineux chez Québecor: «Les médias ne font pas disparaître les nouvelles», selon l’Association canadienne des journalistes

Retrait d’articles haineux chez Québecor: «Les médias ne font pas disparaître les nouvelles», selon l’Association canadienne des journalistes

 

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La semaine dernière, le rédacteur en chef du Journal de Québec, Sébastien Ménard, a affirmé que Québecor n’avait pas retiré une quantité importante de ses articles haineux sur les non-vaccinés en raison de leur contenu.

Certaines chroniques étaient inaccessibles depuis quelques mois, d’autres depuis moins longtemps. D’autres encore, demeurent inaccessibles, comme Noël sans vaccin de feu Denise Bombardier, dans laquelle la chroniqueuse écrivait :

Denise Bombardier, Noël sans vaccinJournal de Montréal, 13 décembre 2021.

(Lien vers l’archive ici.)

La déclaration de Sébastien Ménard est venue quelques jours après une publication sur Twitter qui démontrait que de nombreuses chroniques avaient disparu. Devoir de mémoire oblige, Corona (@nubivagus) avait dressé une liste exhaustive de tous ces textes.

Quelques jours plus tard, les articles étaient de nouveau accessibles.

Que s’est-il passé?

Les articles auraient disparu en raison d’une « date d’expiration » de 18 mois, rapportait Libre Média, qui a questionné Québecor à ce sujet dans son article « Québecor nie avoir retiré des articles dirigés contre les non-vaccinés » :

« Le rédacteur en chef du Journal de Québec, Sébastien Ménard, estime “mensonger” de prétendre que des articles ont été retirés en fonction de sujets précis (la pandémie, la vaccination, etc.) ou de nouvelles orientations éditoriales.

“Durant une certaine période, qui a débuté avant la pandémie et qui a pris fin il y a déjà un bon moment, les chroniques d’opinion publiées sur les sites web du Journal de Montréal, du Journal de Québec et de QUB radio cessaient automatiquement d’apparaître en ligne à la suite d’une ‘date d’expiration’ de 18 mois”, précise Sébastien Ménard dans son échange avec Libre Média […]

Sébastien Ménard refuse de parler d’une politique de suppression d’articles qui relèverait d’un choix éditorial ou d’une volonté d’effacer des traces gênantes. Il évoque plutôt une “manipulation lors de la mise en ligne” n’ayant “absolument rien à voir avec la pandémie”. »

Cette explication est extrêmement difficile à croire, pour la simple raison que les médias sont très réticents à retirer du contenu. Un tel geste affecte grandement leur crédibilité.

L’idée qu’un média ait pu avoir comme pratique de faire disparaître automatiquement après 18 mois un type de contenu précis, à savoir des chroniques, est, au mieux, risible.

S’agissait-il plutôt d’un problème technique? Ce n’est pas ce que l’on comprend des explications de M. Ménard.

Retrait de contenu : une exception très rare à la règle

Le retrait de contenu est une pratique si peu courante qu’il ne semble pas y avoir de règles claires à ce sujet dans les guides de déontologies, sauf en ce qui concerne les demandes de personnes ayant fait l’objet d’un article de les retirer, demandes généralement liées à des accusations criminelles.

Dans un texte à ce sujet publié sur le site de La Fondation pour le journalisme canadien, À quel moment les rédacteurs en chef devraient-ils « retirer » des reportages en ligne?, la rédactrice en chef du Toronto Star, Kathy English, explique :

« Pour les journalistes et les organes de presse, les demandes de retrait soulèvent des questions d’exactitude et d’équité, ainsi que de confiance et de crédibilité auprès de nos lecteurs et des communautés que nous servons […] »

Mme English a sondé les médias nord-américains en 2009 et a conclu ceci à propos des demandes faites aux médias de retirer du contenu :

« Dans l’ensemble, j’ai appris que les journalistes sont très réticents à retirer le contenu publié des sites Web. Comme l’a dit un rédacteur en chef : “Le retrait [de publication] est un mot qui ne correspond pas exactement à ce que les gens demandent. Ils nous demandent de censurer ou de réécrire l’histoire” […]

La plupart ont exprimé l’opinion générale que le contenu publié en ligne fait partie des archives publiques et de notre contrat avec nos lecteurs […] »

Loïc Tassé, “Les antivaccins, une minorité mondiale nuisible“, Journal de Montréal, 29 janvier 2022.

En 2010, le comité d’éthique de l’Association canadienne des journalistes (ACJ) s’est penché sur la question et a demandé que des règles soient rédigées sur le retrait de publication.

L’article The ethics of unpublishing (L’éthique du retrait), également écrit par Kathy English, ajoute des compléments d’information, pousse la réflexion plus loin et émet des recommandations :

« […] Le sondage a révélé une forte réticence de la part des médias à supprimer le contenu numérique publiéLa plupart des rédacteurs estiment que des préoccupations juridiques importantes devraient être la principale raison pour laquelle le contenu est retiré […]

Comme l’a remarqué l’un des rédacteurs en chef : “L’élimination du contenu publié — en fait, faire disparaître les nouvelles — nuit à la transparence et à la confiance de nos auditoires. ”

Le fait est que les gens vont devoir s’adapter au monde de l’éternité sur le Web. Nous ne pouvons pas revenir en arrière”, a affirmé un autre. »

Quel est le consensus sur la publication en général selon l’ACJ?

« Le consensus est qu’une fois qu’un document est publié, l’option éthique est de le laisser tel quelpourvu qu’il soit exact. »

Et que faire s’il y a des erreurs?

« Le contenu numérique qui est jugé inexact doit être corrigé et/ou modifié de façon transparente dès qu’une inexactitude est vérifiée. Voici ce que Craig Whitney, rédacteur en chef des normes du New York Times, a dit dans le sondage de l’APME : “Nous ne retirons pas d’articlesmais s’il y a une erreur ou des renseignements plus récents que nous n’avons pas publiés et qui jettent un éclairage différent sur un article archivé, nous y ajoutons une correction ou un addenda”. »

Les médias ne retirent pas d’articles, dixit le New York Times, un quotidien vu par le milieu journalistique comme LA référence par excellence.

Si un média devait retirer du contenu, cette « décision rare doit être prise dans le cadre d’un processus de consultation aux plus hauts niveaux de l’organisation médiatique ».

La plupart du temps, cette décision est prise « à l’aide de conseillers juridiques ».

Voici cinq des neuf règles de bonnes pratiques concernant le retrait d’articles selon l’Association canadienne des journalistes. Ces règles sèment bien des doutes sur les explications de Québecor :

  • « Nous sommes dans le domaine de l’édition et, en général, nous ne devrions pas retirer les publications : le contenu numérique publié fait partie des archives et ne devrait pas être retiré. Les médias ne réécrivent pas l’histoire et ne font pas disparaître les nouvelles.
  • L’exactitude continue est notre responsabilité : Bien que nous devrions résister au retrait de publications, nous avons la responsabilité journalistique d’assurer l’exactitude continue de tout le contenu publié et de publier des corrections et des articles mis à jour dès que nous vérifions les erreurs ou les nouveaux renseignements […] La transparence exige que nous indiquions aux auditoires qu’un article a été modifié.
  • Retirer pour les bonnes raisons : Il peut y avoir de rares cas d’erreur flagrante ou de violation de l’éthique journalistique où il est jugé nécessaire de retirer du contenu des archives publiées. Dans la plupart des cas, ce serait pour des raisons juridiques, incluant du matériel diffamatoire, du matériel qui contrevient à une interdiction de publication ou d’autres restrictions légales. Idéalement, le conseiller juridique devrait être consulté dans ces cas, et la première considération devrait être de savoir si les documents peuvent être corrigés ou modifiés de façon transparente. Dans les rares cas où un article est complètement retiré du site Web, la transparence exige que cette note soit ajoutée à l’URL pour confirmer que l’article a été retiré.
  • Les remords des sources ne justifient pas un retrait. Nous ne devrions pas supprimer les renseignements publiés parce que les sources changent d’avis sur ce qu’elles ont dit à un journaliste ou décident, après la publication, qu’elles ne veulent pas que les renseignements les concernant soient consultés au moyen d’un moteur de recherche. Si les renseignements ont été recueillis de façon équitable et rapportés avec exactitude, ils font partie des archives publiques et ne devraient pas être modifiés.
  • Expliquer votre politique de retrait : Ceux qui cherchent à faire supprimer du contenu publié ne comprennent peut-être pas les raisons journalistiques de résister au retrait. Nombreux sont ceux qui voient l’article en ligne comme une version facile à modifier. Nous devrions faire de grands efforts pour expliquer notre politique de retrait et aider ceux qui cherchent à faire retirer des documents publiés à comprendre qu’il s’agit d’une question d’intégrité et de crédibilité et qu’elle reflète notre sens des responsabilités à l’égard de nos auditoires, de notre collectivité et de l’histoire. »

À la lumière de ce qui précède, il est clair que le retrait d’articles par les médias est une pratique qui n’est ni courante, ni souhaitable selon les acteurs de l’information.

L’idée que les articles de Québecor aient pu avoir une « date d’expiration » n’est pas crédible et cette explication des rédacteurs mine davantage la crédibilité de l’entreprise.

D’abord, s’il s’agit d’une erreur technique, comment cette erreur a-t-elle pu être répétée si souvent et viser majoritairement des articles sur les non-vaccinés?

Josée Legault, “La normalisation inquiétante de la folie“, Journal de Montréal, 18 novembre 2021.

Selon l’expérience de l’auteure de ces lignes avec différentes plateformes numériques de publication, mettre une date d’expiration sur du contenu nécessite des étapes supplémentaires et il est difficile de croire que cela ait pu se produire par erreur, à maintes reprises.

Donc, y a-t-il eu « manipulation lors de la mise en ligne », comme on le prétend, pour tous les articles? Si oui, rien ne la justifie et elle n’aurait jamais dû avoir lieu.

Les explications de M. Ménard ne sont pas claires. On ne comprend pas si ladite « manipulation » était délibérée ou non.

De nombreux citoyens croient plutôt que l’Empire, qui a republié les articles litigieux peu après la publication de Corona sur Twitter/X, a voulu faire disparaître des propos qui les placeront tôt ou tard dans une très mauvaise posture juridique.

Autrement dit, bien des gens y ont vu une tentative ratée d’effacer l’histoire d’une propagande haineuse inouïe.

Richard Martineau, La victoire des coucousJournal de Montréal, 14 octobre 2021.

Les textes d’opinions doivent se baser sur des faits

Il est facilement démontrable que Québecor a mal agi depuis 2020 et n’a pas respecté l’éthique journalistique de base, comme rapporter les faits sans préjugés, ne pas discriminer et traiter les sujets de manière équitable et impartiale.

Et que dire de l’exactitude.

D’ailleurs, une série de décisions récentes du Conseil de presse portant sur les textes d’opinion sont réunies dans une publication intitulée Même dans un texte d’opinion, il faut s’appuyer sur des faits.

Sur six décisions, quatre plaintes visent les médias de Québecor et trois d’entre elles ont été retenues.

Richard Martineau et Le Journal de Montréal ont été blâmés pour la chronique « La vaccination est la seule porte de sortie » :

« Le Conseil juge que le chroniqueur a omis d’identifier la source du chiffre dont il fait état dans l’extrait suivant : “Si tout le monde était vacciné, au Québec, il y aurait 70 % de moins de gens à l’hôpital”. Bien qu’un journaliste d’opinion exprime son point de vue, il doit exposer les faits sur lesquels il base cette opinion. Dans un contexte où la question de la vaccination contre la COVID-19 était très sensible, il était d’autant plus important que le chroniqueur appuie son argumentaire sur des données dont le public pouvait vérifier la qualité. »

Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal ont été blâmés pour l’article « Doublement vacciné et en forme à 73 ans: contaminé à mort par son vendeur de thermopompes antivaccins » :

« Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Kim Noël, Daniel St-Hilaire et une plaignante en appui visant l’article “Doublement vacciné et en forme à 73 ans : contaminé à mort par son vendeur de thermopompes antivaccins”, publié le 20 octobre 2021, et blâme Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal concernant le grief de titre sensationnalisteLe titre établit un lien de cause à effet entre la visite d’un employé non vacciné et la mort d’un homme de 73 ans, alors que la journaliste, dans son article, expliquait bien qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse. Puisque le média est responsable des titres, la journaliste ne reçoit aucun blâme. »

Denise Bombardier et Le Journal de Montréal ont également été blâmés pour la chronique « Une guerre raciale se déroule sous nos yeux ». Cet article est introuvable sur le site du quotidien et sur Wayback Machine.

« Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de François Gosselin Couillard visant l’article “Une guerre raciale se déroule sous nos yeux”, publié le 19 novembre 2021, et blâme Denise Bombardier ainsi que Le Journal de Montréal concernant les griefs de discrimination et d’information incomplèteLe Conseil juge que l’opinion de la chroniqueuse selon laquelle la criminalité est “raciale avant tout” et qu’il s’agit du “[r]ésultat indéniable des énormes défis à l’évidence inatteignables en matière d’intégration sociale des immigrants” n’est soutenu (sic) par aucun fait concret et relève de préjugés discriminatoires. »

Québecor a par ailleurs perdu sa bataille juridique contre le Conseil de presse en février dernier. Célébrant sa victoire, le Conseil de presse a résumé le litige ainsi :

« Les médias de Québecor souhaitaient que le Conseil cesse de traiter les plaintes du public les concernant et réclamaient des dommages de plus de 400 000 $ pour atteinte à leur réputation. »

Québecor n’aime pas se faire servir sa propre médecine.

Son manque d’éthique n’est toutefois pas l’exception à la règle.

Trop de chroniqueurs, tous médias confondus, ont pris goût au lynchage et prennent leurs opinions pour des faits.

C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles ils perdent leur crédibilité et que les citoyens préfèrent s’informer ailleurs.

Les médias, eux, préfèrent blâmer Trump, l’extrême droite et Meta.

SOURCE ORIGINALE : https://tribunaldelinfaux.com/2023/08/15/retrait-darticles-haineux-chez-quebecor-les-medias-ne-font-pas-disparaitre-les-nouvelles-selon-lassociation-canadienne-des-journalistes/

 

 

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